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24.08.2013 00:00 Alter: 11 yrs
Kategorie: Vorträge

Christianisme sans religion"? De l'actualité des questions posées par Dietrich Bonhoeffer à parti de son 'interprétation a-religieuse de concepts bibliques'

Vortrag im Rahmen einer Weiterbildungsreise französischer protestantischer Pfarrerinnen und Pfarrer in Berlin am 24.08.2013


1.     Comment Dietrich Bonhoeffer analyse la situation

„Nous nous acheminons vers une époque absolument  a-religieuse ; les hommes, tels qu’ils sont devenus, ne peuvent tout simplement plus être religieux »  (DBW 8, 403).

Plus clairement encore: « Il apparait que tout marche aussi sans ‘Dieu’, et en fait tout aussi bien qu’auparavant. Autant dans le domaine des sciences que dans celui de la dimension humaine globale, ‘Dieu’ est de plus en plus refoulé de la vie, il perd du terrain » (DBW 8, 477).

On peut lire ces phrases au début des réflexions de Dietrich Bonhoeffer  sur „l’interprétation non-religieuses de concepts bibliques“ ainsi que celles portant sur « un christianismes a-religieux » dans ses lettres de prison que Eberhard Bethge a publiées avec le titre « Résistance et soumission » (Widerstand und Ergebung.)

Durant ces dernières décennies ces phrases controversées ont été longuement et chaudement débattues. Y sont décrite durant l’année 1944 la situation dans laquelle, selon l’avis de Bonhoeffer, se trouvait l’Eglise et dans laquelle elle se retrouvera désormais. « Être religieux », d’après lui, n’est plus, pour la plupart des hommes au 20 ème siècle, une option pour maîtriser leurs problèmes vitaux.

En regard de cet athéisme de masse qui a vu le jour en l’Allemagne de l’Est sous la pression d’une dictature idéologique athée, nous pourrons affirmer sans aucune erreur : Oui, cette description de Bonhoeffer  concerne pour le moins le milieu athée et a-confessionnel dont font partie plus des trois quart de la population de l’est de l’Allemagne ainsi qu’ailleurs en Europe  avec des centres de gravité divers selon les régions.Les personnes qui vivent dans ce milieu n’ont nul besoin d’une „religion“ telle qu’elle est incarnée par l’Eglise. Elles sont de l’avis que l’on peut mieux vivre sans religion. Selon toute estimation humaine, cette vision des choses marquera encore longtemps la vie sociale. De leur côté les églises se trouvent plus ou moins démunies pour savoir comment toucher par leur message les personnes issues d’un tel milieu.

Cependant, lorsque nous jetons un regard sur la profusion de publications contemporaines ecclésiales et théologiques, mais aussi séculières, nous rencontrons une toute autre appréciation des phrases évoquées de Bonhoeffer.Il nous y est dit que son diagnostic et son pronostic sont erronés. Bonhoeffer s’est trompé. Car nous vivons au début du 21 ème siècle dans un temps du « retour », voire de la « renaissance de la religion ».°Pour cette raison on s’attend à ce que l’a-religiosité de l’Allemagne de l’Est ainsi que celle de l’Europe s’évanouisse spontanément sous l’influence de la „re-spiritualisation“ de la société. Etre religieux s’avérera avoir plus de poids que de vivre sans religion.Le besoin de sacré, de spiritualité, d’irrationnel, de mysticisme, etc, ne pourra pas être exclu à la longue. De ce fait, le monde technico-rationnel et les processus de modernisations qui l’accompagnent ne pourront finalement apporter aucune satisfaction définitive à ce  que les hommes attendent de la vie. C’est pour cette raison que la mission chrétienne aura, avant comme après de bonnes chances de réussite.

Qui tient ce discours n’a évidemment aucune raison de faire l’effort de comprendre  « l’a-religiosité » et ses motivations. Ni, à fortiori aucune raison de s’interroger sur la manière dont l’Eglise et la théologie pourraient se mettre en lien avec cette a-religiosité.Sur la base des expériences qu’il avait des hommes de son temps, Bonhoeffer voyai les choses différemment. Il n’avait pas envisagé une auto-dissolution de l’a-religiosité des hommes. Sa perspective allait plutôt dans le sens que le christianisme à l’avenir allait devoir cohabiter avec les hommes a-religieux. Pour cette raison la réflexion sur son appréciation théologique de l’a-religiosité a eue une grande importance dans l’église et la théologie de la RDA.Dans ce contexte la réalité à laquelle nous sommes confrontés comme chrétien(ne)s avait été prise au sérieux. C’est ici qu’on pouvait sentir l’effort fourni dans une résistance théologique à cette réalité.

 

2.     Le point de départ théologique de Dietrich Bonhoeffer

Pour prendre au sérieux „l’a-religiosité“ Bonnhoeffer commence par poser une question inhabituelle. La voici : « Comment Christ peut-il être le Seigneur, aussi des « a-religieux » (DBW 8, 404) ? Avec cette question il ne veut pas savoir : Comment les a-religieux deviendront-ils religieux ? Ce qu’il veut savoir : Quelle est le lien que le Christ établit avec ces hommes en tant qu’a-religieux, à savoir, en tant que non-croyants  en Dieu ? S’il s’avère que ceux-ci n’ont de loin pas échappé à la seigneurie du Christ malgré leur a-religiosité, voire leur athéisme, qu’ils appartiennent au Christ, alors se pose inévitablement la question s’il ne pourrait pas exister quelque chose comme un « christianisme a-religieux » qui puisse coexister en solidarité avec les hommes a-religieux

         C’est maintenant le moment de faire une petite pause pour procéder à une clarification des concepts qui permettra une meilleurs compréhension de la discussion provoquée par Bonhoeffer. En effet, l’opinion de Bonhoeffer dans ses lettres écrites en captivité était que la religion ne représentait qu’un « vêtement » (DBW 8, 404), une forme ou figure (Gestalt) issue de l’histoire. Elle – cette religion – est caractérisée par trois attributs particuliers :

1) Métaphysique.  Bonhoeffer entend par là l’essai de mettre en lumière Dieu aux frontières de l’existence humaine, comme fondement de l‘être-homme et comme solution aux problèmes posés à la vie humaine. Ainsi Dieu devient un « bouche trous » dans la vie, une « hypothèse de travail » dans la science (DBW 8, 557).Ceci est tout simplement devenu superflu à l’époque de la science et de l’autodétermination de l’homme.

2) Interiorité; Dieu devient l’objet d’une expérience individuelle qui relève du domaine privé des hommes. Que Dieu soit le Seigneur du monde tombe dans l’oubli. « La religion est une affaire privée », dit-on aujourd’hui. Pour la société elle n’a aucune espèce d’importance.

3) Partialité. La religion tente de s’assurer une partie du monde qui ne peut pas être saisie par la connaissance humaine pour y insérer sa propre efficacité, comme par exemple dans les profondeurs de l’âme, dans les choses impénétrables et les catastrophes naturelles, etc. Dieu y devient le Deus ex machina – le Dieu issu de la machine.

Au vu de cette conception de la religion, nous comprenons la phrase de Bonhoeffer qui affirme que le temps de la religion est passé. La science n’a pas besoin de Dieu comme hypothèse. Les hommes maitrisent leur vie sans s’attendre à un miracle de l’intervention de Dieu dans les maladies ou autres problèmes de la vie. La foi chrétienne doit pour cette raison se séparer de ce genre de religion et de ce fait devenir « a-religieuse ».

Cependant certains  interprètes de Bonhoeffer considèrent cette description de la « religion » comme étant erronée et de ce fait aussi les conclusions qui en sont déduites. Ils conçoivent la religion comme une forme nécessaire de la foi chrétienne sans laquelle elle ne peut exister. Ils veulent dire par là : les hommes transcendent  avec leur conscience tout ce qui est terrestre. Ils ne peuvent pas vivre sans s’ouvrir à des dimensions de la réalité qui nous sont soustraites ni sans se laisser toucher par elles.Ils sont disposés à vénérer le sacré et l’irrationnel. Bref : ils sont inévitablement des êtres religieux, même s’ils ne croient pas en Dieu et ne se considèrent plus comme « religieux ». Cette ouverture structurelle à ce qui est soustrait, non objectivable, mystérieux, fait partie de l’être humain, même si elle se manifeste à travers une pseudo-foi et toute sorte de superstitions. Il est alors juste nécessaire de se réclamer de  cette capacité religieuse inhérente aux hommes et de l’imprégner avec la foi chrétienne.

Les réflexions de Bonhoeffer par contre n’ont absolument aucun caractère „missionnaire“ dans le sens où les « personnes sans religion » devraient être détournés de leur « a-religiosité ». Nulle part dans ses lettres de prison ne sont évoquées des réflexions méthodologiques sur l’aspect que devrait avoir la conversion d’une personne a-religieuse à la foi en Christ, en Dieu. L’opinion de Bonhoeffer était plutôt de dire que «le monde a-religieux », par le fait qu’il ne considère pas Dieu comme un « bouche-trou » et qu’il ne l’intériorise pas comme étant celui qui résout les problèmes d’une partie du monde, se trouve du côté de Jésus-Christ. De ce fait celui-ci réalise une intention fondamentale de la venue de Dieu dans le monde, telle qu’elle advient par l’homme Jésus. C’est cela la libération de nous, les humains , en vue d’un authentique « être au monde » c'est-à-dire de la réalisation et structuration majeure et auto-responsable de la vie sur la terre. . Nous devrons examiner de plus près le cheminement par lequel Bonhoeffer est parvenu à cet éloge de « l’a-religiosité »

 

3. La réalité et les motivations de l’a-religiosité

A l’arrière plan du questionnement  de Bonhoeffer se situe une certaine image de l’époque contemporaine (Neuzeit) différente de celle du moyen-âge. Au moyen-âge il s’avérait nécessaire de solliciter Dieu pour expliquer l’univers et la terre.

Cette sollicitation est devenue superflue à cause de l’éclosion des sciences naturelles. Le monde, par le biais des lois naturelles, est suffisamment explicable dans son devenir et ses structures.Un processus analogue a vu le jour dans l’existence des humains. Ils ne se sentent plus dépendants de quelqu’un qui dirige leur vie, qui y interviendrait par des miracles et d’une manière surnaturelle. Ils décident de leur vie eux-mêmes  et en toute liberté.Ils sont autonomes et majeurs(cf. DBW 8, 47ss.).Ils structurent leur vie et le monde à leur guise et d’une manière responsable. Voilà pourquoi ils n’ont plus besoin de la religion avec Dieu comme  « bouche-trou » et « solution aux problèmes » causés par des questions non résolues.  Voila pourquoi  l’époque contemporaine est reliée à l’expansion de l’a-religiosité.

Il importait donc pour Bonhoeffer que le christianisme reconnaisse tout simplement  le monde compris ainsi comme majeur et de ce fait reconnaisse son « a-religiosité ». Il ne doit pas tenter de « dénigrer » ce monde devenu adulte (émancipé), de gratter dans ses faiblesses pour y trouver des failles et des échecs dans lesquels elle pourrait néanmoins, à la manière d’un contrebandier, introduire Dieu. Nous nous posons la question, déjà avant l’irruption des problèmes et catastrophes de notre époque de la globalisation, si Bonhoeffer n’aurait pas été victime d’une énorme illusion en interprétant la « majorité » du monde selon laquelle Dieu serait devenu superflu. De plus, nous nous posons la question de savoir: L’a-religiosité est-elle effectivement une expression d’une telle « majorité » ? La « théorie de la sécularisation » selon laquelle le développement  technico-scientifique  soustrairait à la religion tout fondement est-elle pertinente ? Est-il faux de dire que face aux risques et impondérabilités encourus par le monde déterminé par l’économique et le technologique on assiste à un besoin croissant d’appuis et de sécurités, tels que la transcendance et la religion cherchent à les prodiguer ?

Les dégâts causés dans le monde d’aujourd’hui, suite à la globalisation, peuvent-ils être considérés comme une expression de l’être majeur ? Bonhoeffer n’a-t-il pas tout simplement embelli la soi-disante « majorité » et avec elle « l’a-religiosité » ?

Ceci n’était assurément pas le cas. Il était sans illusion face à l’image révélée de fait de l’a-religiosité. Il ne savait que trop bien qu’une vie sans Dieu pourrait déboucher dans une chute vers le néant, dans l’absence de sens, dans le vide absolu. Pour nous, le monde est devenu sans dieux, nous n’adorons plus rien“, écrit-il dans son commentaire des „dix paroles“, qui a vu le jour en même temps que ses réflexions sur la possibilité d’un christianisme a-religieux.

Nous n’avons vécu qu’avec trop  d’évidence la fragilité et le néant de toute chose, de tous les hommes et de nous-mêmes, pour que nous ne puissions encore les diviniser. Nous avons été trop déconcertés par rapport à l’existence pour être encore capables d’avoir et d’adorer des dieux. S’il nous reste encore une idole, celle-ci pourrait éventuellement être le néant, l’effacement, l’insensé (DBW 16, 664). « En cela nous sommes vraiment des nihilistes », commente-t-il dans sa lettre de prison du 27.6.1944 (DBW 8, 499).

Exalter la vie sans Dieu, sans tenir compte de cette réalité là, ne correspondait bien évidemment pas à son intension en prenant en compte  ce monde sans religion par Christ. Nous ne devons à aucun prix oublier qu’il a rédigé tout cela face aux excès meurtriers des nazis qui, par la religiosité démesurée de l’a-religiosité, ont mis en œuvre d’une manière épouvantable rien d’autre que le reniement du Christ. Que l’a-religiosité puisse basculer à tout moment dans une pseudo religion totalitaire, il l’a expressément évoqué dans le fragment de l’éthique « Héritage et déchéance » „Erbe und Verfall“  en 1940. Il aurait donc parfaitement pu se baser dans ses réflexions sur ce profil de l’a-religiosité qui correspond largement à l’image réelle de son apparition.

Dans l’image qui y est révélée nous pouvons aussi reconnaître plein  d’aspects qui caractérisent  les hommes athées « aconfessionnels » d’aujourd’hui .Là où Dieu est nié et où les totalitarismes s’estompent, une a-historicité étrange se développe.  Il n’existe plus dans ce cas « ni avenir, ni passé ». N’existe plus désormais que l’instant sauvé du néant et la volonté de s’approprier frénétiquement l’instant qui va suivre. [...] Plus rien ne demeure  plus rien n’est conservé. [...] Des événements d’importance historique mondiale ainsi que des crimes les plus inouïs ne laissent plus de trace dans la mémoire oublieuse. On se joue de l’avenir.  [...] Une destinée personnelle  devient inexistante et pour cette raison toute dignité personnelle est abolie. [...]. ‘Les grandes convictions’ ainsi que la quête d’un cheminement  personnel sont remplacés par une navigation frivole au gré du vent. [...]  Comme il n’y a pas de confiance en la vérité, celle-ci est supplantée par une propagande  pleine de sophistications. [...]  A la question de savoir ce qui demeurera, il n’y a que cette seule réponse : la peur du néant. (DBW 6, 120s.).

A l’époque de la RDA la censure avait empêché la parution de ce texte. Dans l’éloge théologique et ecclésial de l’a-religiosité, les puissants protagonistes de l’athéisme voulaient se pavaner au soleil sans ombrage. Mais ils ne voulaient pas concevoir que l’a-religiosité puisse aussi déraper vers un projet abyssal et absolument négatif. Bonhoeffer le savait bien, lui. Au-delà de toutes ses découvertes théologiques il l’a subie dans son corps et dans son âme. Il est d’autant plus étonnant que justement dans cette situation,  il ne soit pas focalisé sur ce qu’une vie sans Dieu peut expectorer comme mal et méchanceté, sur le tort qu’elle cause à la chrétienté, sur la manière dont elle est repliée sur elle-même dans une attitude hautaine et stupide.

En examinant une nouvelle fois, alors qu’il est en prison, le phénomène de « l’a-religiosité », Christ, pour Bonhoeffer, apporte une différence dans la vie sans Dieu. Il met en lumière le côté le plus positif de l’a-religiosité, celle qui lui tient à cœur est  dès l’origine le fait de promouvoir une vie majeure et responsable pour ce monde.Bonhoeffer peut affirmer qu’il enseigne à la chrétienté à mieux appréhender l’a-religiosité qu’elle ne s’appréhende  elle-même. La manière dont Bonhoeffer a justifié cela, nous désirons brièvement l’expliquer par l’examen du texte le plus important qu’il a rédigé pour faire comprendre ce qu’il entend par la majorité du monde a-religieux.

 

3.     La majorité du monde et „l‘Eglise pour les autres“.

Il est révélateur théologiquement que Bonhoeffer ne fonde pas la responsabilité de l’homme majeur pour le monde sur la théologie de la création. C’est dans celle-ci  que cette thématique aurait en fait sa place, dans la mesure où les créations de Dieu dans leur existence y sont appelées à prendre leur responsabilité. L’argumentation de Bonhoeffer par contre est christologique. Il a essayé de déduire ses compréhensions décisives à travers l’explication du cri de Jésus sur la croix : « mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »(Marc 15,34). Nous pouvons en prendre connaissance dans une lettre du 16.7.1944 où il revendique pour la chrétienté « la sincérité la plus absolue » au regard de l’a-religiosité. Il y est dit :

„Nous ne pouvons pas être sincères sans reconnaître que nous sommes obligés de vivre dans le monde –  'etsi Deus non daretur'. Et c’est exactement cela que nous reconnaissons – devant Dieu! C’est Dieu lui-même qui oblige à cette reconnaissance.

Le chemin qui nous conduit vers notre être-majeur nous amène à une reconnaissance plus véridique de notre situation devant Dieu. Dieu nous fait savoir que nous sommes contraints de vivre en tant que personnes qui auront à  assumer la vie sans Dieu. Ce Dieu qui est avec nous est ce Dieu qui nous abandonne (Marc15, 34)! Ce Dieu qui nous laisse vivre dans le monde sans l’hypothèse de travail Dieu, est ce Dieu devant nous sommes placés en permanence. Devant et avec Dieu nous vivons sans Dieu. Dieu se laisse refouler hors du monde à la croix, Dieu est impuissant et faible dans le monde et c’est justement et uniquement de cette manière qu’il est avec nous et nous vient en aide. Il est tout à fait clair selon Matth 8,17 (En vérité, il s’est chargé de nos maladies…) que Christ ne vient pas en aide en vertu de sa toute-puissance, mais en vertu de sa faiblesse, de sa souffrance ! » (DBW 8, 533s.).

 

Ceci est un texte d’une grande densité. Bonhoeffer lui-même n’en était pas satisfait et le considérait comme étant beaucoup trop « lourdaud ». Essayons de le décrypter ! La pensée fondamentale est la suivante: par le fait que Dieu se soit unifié dans la croix du Christ avec la souffrance et la mort de l’homme Jésus, il a confirmé l’autonomie du monde. Celui-ci doit vivre sans ses interventions toutes-puissantes. C’est ici que Dieu nous abandonne en tant que deus ex machina.Nous sommes contraints à une vie sur la terre sans revendiquer l’aide du pouvoir d’un Dieu pour solutionner nos problèmes du monde. Nous devons vivre avec un Dieu impuissant dans le monde. Cela ne signifie pourtant pas que par là nous soyons débarrassés de Dieu en tant que tel. C’est justement ainsi que nous sommes placés devant Dieu en tant qu’hommes qui doivent vivre etsi deus non daretur. Dans son impuissance dans le monde il est avec nous et c’est ainsi que nous sommes placés devant lui. Mais alors, que veut dire « il nous aide ? » La réponse à cette question est donnée dans la lettre qui suit du 18.7.1944 :

On y entend: Dieu nous vient en aide en nous faisant participer à sa souffrance pour un monde qui fait usage de son autonomie pour anéantir ce monde, pour crucifier et torturer des hommes. Il libère ceux qui vivent en relation avec lui pour un être-monde authentique, et non pas pour celui tel qu’il  a été mis en œuvre par les Nazis, par exemple. Il les libère pour un être-là en faveur de ceux qui souffrent dans ce monde, pour un « être-là-pour-d’autres ». Leur existence a-religieuse ne s’attend pas à ce qu’intervienne un Dieu puissant,  né de leur propre imagination. En conséquence, l’Eglise de Jésus Christ vit parmi les hommes a-religieux, comme s’il n’y avait pas Dieu. Dieu les rend aptes à une telle vie en leur faisant comprendre par la croix du Christ, que lui-même n’est pas un Dieu de la puissance. Dans son impuissance, par laquelle il se laisse pousser hors du monde, il vient en aide à ceux qui croient en lui, plutôt dans le sens suivant : il les envoie sur un chemin qui le amène dans ce monde pour y participer « par l’aide et le service rendus aux tâches du vivre ensemble des hommes » (DBW 8, 560).

Lorsque l’Eglise vivra ainsi, sans aucune volonté de pouvoir religieux , en solidarité avec les hommes a-religieux, alors seulement ses paroles auront à nouveau « fermeté et force » (DBW 8, 561) Si elle n’existe par ainsi, il vaut mieux qu’elle se taise, car alors, une fois de plus elle éveillera l’impression d’annoncer le « Dieu-de-la-machine » religieux. Il lui faudra alors, de ce fait, garder le mystère de la foi dans le secret –dans les arcanes- jusqu’au moment où une situation émerge dans laquelle, au bénéfice de son existence a-religieuse pour les autres, elle acquière un nouveau langage. Un langage, dit Bonhoeffer, qui soit « peut-être parfaitement a-religieux, mais libératoire et salvateur comme le langage de Jésus, tel qu’il risque d’épouvanter les gens, mais aussi tel qu’ils soient convaincus par sa puissance, le langage d’une nouvelle justice et vérité » (DBW 8, 436).

Dietrich Bonhoeffer était un théologien qui n’a pas fait les choses à moitié. Avec tout ce qu’il avait reconnu comme étant vrai il allait toujours droit au but. Nous remarquons cela aussi ici. En effet il s’est fait une représentation de l’ »Eglise pour les autres » qui sur les traces de Jésus renoncerait à tout exercice de pouvoir dans laquelle elle « ferait don aux nécessiteux de toutes ses possessions. Les pasteurs ne devront vivre exclusivement des dons volontaires issus des paroisses et exercer éventuellement une profession laïque. » (DBW 8, 560). Jusqu’à présent personne, parmi tous ceux qui se référaient à Dietrich Bonhoeffer, ne s’est approprié cette exigence. De même, l’Alliance des Eglises Evangéliques de la RDA qui s’était donné le nom de « Eglise pour les Autres » ne l’a mise en pratique que d’une manière très marginale. Il faut avouer que ce que Bonhoeffer exigeait là, n’était ni plus, ni moins que l’Eglise, pour faire justice à la majorité de ces hommes qui vivent d’une manière a-religieuse, renonce à toute sécurité et recommence à zéro.

Notre église, répartie géographiquement sur tout le territoire et structurée en paroisses n’est pas non plus en mesure de prendre vraiment au sérieux la majorité du monde, au point de – ce qui serait l’aboutissement logique de la pensée de Bonhoeffer- s’engager vers une église libre dans laquelle ne se retrouveraient que des chrétien(ne)s prêt(e)s à participer à « la souffrance de Dieu » telle qu’elle a été décrite. Un retour au christianisme primitif où les hommes se réunissaient spontanément dans les maisons et les catacombes ne se fera pas, vu que  son organisation  doit faire face à des obligations pour des millions de personnes.

Par ailleurs, de nombreuses questions restent encore ouvertes vis à vis des réflexions et exigences de Bonhoeffer.  L’Eglise devrait-elle, par exemple, suspendre pendant toute une période sa proclamation de l’évangile  pour dégager un champ libre où un nouveau langage sur Dieu pourrait croitre. Cela semble plus que douteux dans un milieu sociétal qui s’exerce à oublier  Dieu. On peut aussi douter d’une compréhension insuffisante de la „Religion“ de Bonhoeffer qui ne pourra pas, malgré tout effort intense de la chrétienté de participer à la responsabilité majeure pour le monde et pour les autres, profiler cette chrétienté comme étant « a-religieuse ». Là où l’on croit en Dieu, il est impossible de faire l’impasse du concept de « religion » qui, dans sa compréhension initiale, signifie la vénération de Dieu. L’intense piété propre à Bonhoeffer peut dans ce sens, sans aucune hésitation, être appelée « religion ». Elle était portée par la forte certitude que Dieu est présent dans son invisibilité et conduit les croyants sur un chemin. Ce n’est qu’à cette condition que l’Eglise, comme Bonhoeffer la considère, peut avoir la force de s’impliquer dans « l’a-religiosité » sans s’y engloutir.

A l’époque de mes études une orientation théologique, se référant à Bonhoeffer, se dénommait: « Théologie après la mort de Dieu. » Dorothee Sölle était en Allemagne la représentante la plus connue de cette orientation. Elle a développé les réflexions des lettres de prison de Bonhoeffer en concluant que, après la mort de Dieu, c’est à nous, en tant que « bouche trous », de nous engager nous-mêmes à la place de Dieu., puisque Dieu s’était en quelque sorte épuisé. Or Bonhoeffer était d’avis que  justement le dieu impuissant sur la croix nous venait en aide et nous donnait le pouvoir de suivre le chemin d’une „Eglise pour les autres“ dans un monde majeur. La concentration sur Dieu dans la prière était de ce fait un très grand et puissant appui, rendant capable d’entreprendre ce chemin. Or la prière est sans nul doute un acte religieux, il ne semble donc pas du tout indiqué de vouloir comprimer toute l’étendue d’une vie chrétienne dans le concept spécifique à Bonhoeffer de « l’a-religiosité ».

Pourtant, malgré ces interrogations, les impulsions émanant de Bonhoeffer pour notre vie ecclésiale et chrétienne dans un environnement qui a oublié Dieu et qui est athée demeurent. Pour terminer j’en fais brièvement la somme, tout en dépassant Bonhoeffer d’un pas, vue la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui.

 

5. Impulsions apportées par Bonhoeffer pour la vie de la communauté chrétienne au sein d’hommes „a-religieux“.

 

1)    Bonhoeffer nous encourage à ne pas considérer les hommes qui ont oublié Dieu et qui se sont installés dans leur „a-religiosité“, comme des ennemis de Dieu ou des hommes sans Dieu, malgré leur rejet de Dieu, et qui seraient perdus pour la foi et l’Eglise.

Même si leur manière de se présenter peut être parfaitement équivoque, ils sont là pour assumer une préoccupation approuvée par Dieu lui-même : celle d’un monde qui leur est confié librement  pour qu’ils apprennent à le connaître et à en prendre la responsabilité eux-mêmes, ainsi qu’une vie qu’ils devront gérer en responsabilité propre. Au nom de Jésus Christ la chrétienté se sait liée à eux et est solidaire avec eux, parce que Christ est lié à eux et est solidaire avec eux.Dans sa rencontre avec eux il peut et il doit apparaître clairement qu’avec leur a-religiosité ils assument une préoccupation qui est comprise par l’Eglise, voire appréciée par elle. C’est en Jésus Christ que nous portons un regard sur ces hommes et prenons au sérieux les raisons pour lesquelles ils sont « a-religieux » de la manière dont cela a été précisé.

2)    Les églises e les paroisses qui sont essentiellement et exclusivement préoccupées par elles-mêmes manquent à leur devoir. Il y a des raisons plausibles à cette  préoccupation centrée sur soi. Par exemple, il est nécessaire et inéluctable en Allemagne de restructurer les services de l’église au vu de la diminution de ses membres. Par contre, si ces restructurations  ne permet pas que l’on y reconnaisse comment les églises et les paroisses prennent en compte les hommes a-religieux, cela conduit à une situation dans laquelle elles s’installent dans un monde à part à côté d’eux. Cela est en contradiction avec le mandat qui leur est confié par Jésus Christ, lui qui est présent au milieu et pour les hommes a-religieux.

 

3)    Sans qu’elle ne l’ait tirée au clair ni informé de sa compréhension de Dieu, notre Eglise ne peut attendre aucune compréhension de son message dans un milieu aconfessionnel. Cette clarification, prioritairement nécessaire, consiste à dire que la foi en Dieu comporte toujours aussi l’absence de Dieu de ce monde, qu’elle affirme ainsi cette impuissance de Dieu visible sur la croix de Jésus Christ, et qu’elle ne considère pas cela comme un manque. Ce n’est pas en signifiant une toute puissance divine qu’un témoignage au Dieu de la foi chrétienne peut être apporté. Bonhoeffer nous apprend à comprendre que cela n’est pas une chose négative. Par le fait que Dieu se retient d’exercer un pouvoir qui écrase et contraint l’autre, il créé un espace pour un monde, face à lui, qui soit libre et majeur. Il ne le consume pas avec son éclat divin. On peut aussi dire qu’il s’approche du monde et ainsi des hommes avec précaution. Il reste invisible et caché. Les hommes a-religieux prennent cela comme argument pour justifier leur a-théisme, pour devenir sans Dieu. Ils font état de l’absence de démonstrations de puissance de Dieu, alors que dans la perspective de la foi ils occupent justement cet espace que Dieu leur alloue.  Voila pourquoi Dieu peut aussi pour eux devenir celui qui leur donne une juste orientation afin qu’ils perçoivent leur responsabilité majeure pour le monde et une élaboration autonome de leur vie. Leur a-religiosité fondée dans la constatation que Dieu n’est pas un bouche-trou, n’est pas une raison suffisante pour oublier Dieu et de vivre sans Dieu

4)    4) Par la foi en la présence de Dieu par la puissance de son Esprit, l’Eglise avec ses communautés et ses membres se définira parmi les hommes a-religieux de sorte à prendre au sérieux ses propres fondements. Ils parleront de Dieu de telle sorte qu’il soit une inspiration permanente et persévérante pour une vie vraiment humaine et responsable. Il reste Dieu, aussi à travers son impuissance dans le monde, une éternelle et permanente réalité. Là où il se trouve et est perçu par la foi, il donne une perspective de ce fait à la vie d’hommes, à leur être là dans le monde, à la vie des croyants. Bonhoeffer a appelé cette mise en perspective un  être conduit (Führung). Cet « être conduit » nous préserve du malheur et du mal non pas à la manière d’une sorcellerie. Il nous rend participants à la souffrance de Dieu au sein de la souffrance que des hommes s’infligent mutuellement en abusant de la liberté que le Dieu prudent leur a accordée. Ce ne sont pas uniquement des bienfaits dont nous avons le droit de faire l’expérience, mais aussi de la souffrance qui représentent des stations d’un chemin sur lequel il nous fait participer à son engagement non-violent au bénéfice de ses créatures.

Des hommes qui n’ont qu’une relation distante avec l’Eglise et qui au mieux sont des consommateurs passifs d’offres religieuses, auront du mal à s’approprier cette « participation à la souffrance de Dieu ». De ce fait il faut jeter un regard très critique sur la tendance qui se fait jour dans les églises régionales allemandes qui consiste à se mettre prioritairement au service de chrétiennes et de chrétiens qui dont la vie n’est agrémentée que par quelques fioritures religieuses, qui ne se trouvent pas vraiment sur le chemin avec Dieu et qui démontrent de ce fait parmi les hommes a-religieux l’inutilité de la foi chrétienne. On peut très bien coller des fioritures religieuses sur la vie sans faire référence à cette foi.

Si, par contre la capacité des communautés chrétiennes et de ses membres à témoigner de Dieu dans le sens de l’intention de Bonhoeffer pouvait croître, alors, sans aucun doute il y aurait une chance que des hommes, qui depuis longtemps avaient oublié Dieu ,remarquent de quelle manière le mot « Dieu » met en lumière les potentialités de  leur être au monde et établit une cohérence pour leur vie entière, en fait un chemin à suivre et non plus simplement un déroulement. En tout état de cause, toutes les chrétiennes et tous les chrétiens devraient prendre conscience de leur grande responsabilité  par rapport à ce que le mot Dieu déclenche parmi les hommes. Si à ce niveau Dietrich Bonhoeffer. est notre partenaire dans ce dialogue, alors nous sommes bien équipés pour entreprendre cette tâche, même si à certains moments nous devons le contredire.

Permettez-moi de conclure en écoutant la voix de Bonhoeffer lui-même. Le jour même, à savoir le 08.06.1944, où est écrite la grande lettre sur « Christ et le monde devenu majeur », celle que nous avions avant tout sous les yeux ici, les paroles suivantes « coulèrent dans la plume » de  Bonhoeffer,(selon son expression) dans son explication de 1 Pierre 3,9 : « voici quelle était la réponse de Dieu - dit-il- à ce monde qui avait cloué le Christ à la croix : bénédiction….bénir, ce qui veut dire poser sa main sur quelque chose et dire : malgré tout, tu appartiens à Dieu. C’est ce que nous faisons avec ce monde qui nous inflige une telle souffrance. Nous ne l’abandonnons pas, nous ne le rejetons pas, nous ne le méprisons pas, nous ne le condamnons pas, mais nous l’appelons vers Dieu, nous lui donnons une espérance, nous posons notre main sur lui et disons : Que la bénédiction de Dieu arrive sur toi » “ (DBW 8, 675).


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